Pour notre sortie d’arrière-saison, il ne fallait pas craindre la fraîcheur ou l’humidité… La destination choisie était Les Gets, station de ski-village dans le massif du Chablais, située au niveau du Col des Gets, à 1 200 m d’altitude, col permettant le passage entre la vallée d’Aulps au nord et celle de Taninges au sud.
Les courageux participants n’eurent pas à regretter leur voyage au pays de la Musique Mécanique, au royaume pourrait-on dire ! Car d’étage en étage et de salle en salle, tout prêtait à l’émerveillement des yeux et des oreilles : grâce à Audrey, notre guide magicienne, quelques-uns des 800 instruments exposés ont pu prendre vie pour nous !
Mais comment un musée d’une telle importance peut-il trouver place dans un village de seulement 1250 habitants ?
Comme à Roche (Musée de l’Orgue dans le Valais suisse), tout est parti d’un groupe de passionnés fédérés en association : une première animation musicale lors d’une exposition d’artisanat d’Art en 1982, suivie d’un festival, d’une exposition et de l’ouverture du musée en 1988.
En partenariat avec la Mairie des Gets, très impliquée, le musée n’a cessé de se développer par l’acquisition en 1989 d’œuvres majeures comme le manège de chevaux de bois de 1871, l’orgue Æolian (inauguration en 1994), d’instruments et automates de toutes sortes. Ce sont généralement des facteurs d’orgue qui les proposent, les restaurent avant que le musée ne les mette en valeur dans un très beau lieu : le plus ancien bâtiment des Gets, d’abord presbytère puis maison des sœurs, du XVIe siècle qui a gardé sa charpente et auquel a été adjointe une extension autour de la belle Place Limonaire 1.
1 Wikipedia : Limonaire est le nom d’une grande famille de facteurs d’orgues de manèges et d’instruments automatiques, fondée en 1840. Leur nom était très célèbre pour l’importance et la qualité de leur production, et l’instrument qui en est devenu le plus populaire fut l’orgue limonaire, ou orgue de foire désignant par extension tous les orgues mécaniques de grande taille.
Le manège de chevaux de bois
Et de fil en aiguille s’est alors constituée une fantastique collection d’instruments mécaniques historiques, mais aussi de boîtes à musiques, d’orgues de barbarie et de foire, de carillons, de jouets musicaux, de maisons de poupées, de phonographes, d’automates de bar (un accordéoniste très réaliste) ancêtres des juke-box… Et c’est ainsi que le Musée des Gets est devenu rien moins que le plus grand musée de musique mécanique en Europe avec 800 pièces exposées sur 1500 m2 !
Il était possible de prendre des photos dans la galerie entre les deux bâtiments du musée et dans l’église, mais pas dans le reste du musée : peu d’images donc, mais des souvenirs émerveillés autant sonores que visuels car notre guide nous a gâtés en nous faisant entendre des pièces rares et magnifiques.
Parmi les instruments présentés dans le salon à musique, un carillon automatisé tel que celui qui a équipé la cathédrale de Strasbourg, des petits orgues primitifs comme la serinette (qui permettait d’apprendre à chanter aux serins au XVIIIe siècle) ou les oiseaux chanteurs (même époque) qui, en plus de chanter, pouvaient battre des ailes, de la queue et ouvrir le bec, un flageolet (petite flûte à bec) en bois couplé à un mécanisme à cylindre et une tringlerie permettant de fermer les trous… Et toutes sortes d’orgues de salon à cylindre en bois actionnant des soupapes portant des noms évocateurs et aussi inventifs que les instruments correspondants : organophone expressif, organina céleste, organette, clariophon, amabile, sonotina…
Cette époque est très riche en inventions, merveilles d’orfèvrerie ou d’horlogerie.
Au mur, un grand tableau fin XIXe attire le regard : toutes les heures, l’horloge déclenche le passage d’un train, le mouvement de bateaux et d’une montgolfière !
La salle des boîtes à musique ravit pour la beauté des œuvres présentées : coffres en bois précieux marquetés de bois ou incrustés de nacre ou métal. Le premier mouvement nous vient de Suisse, conçu par Antoine Favre en 1796. Ici, le cylindre en métal actionne des lamelles métalliques qui produisent le son, avec parfois aussi quelques anches et carillons, amplifié par un coffre. Certaines de ces boîtes sont animées avec des danseuses ; elles pouvaient être placées dans des gares avec un fonctionnement à pièces de monnaie (années 1890).
Dans cette salle aussi, les ancêtres des juke-box : des armoires à disques en tôle emboutie à ergots (à partir de 1880) dont les noms rivalisent de poésie : symphonion, calliope, polyphon, harmonia, stella, symphonion, reginaphone…
La salle de concert regroupe plus de 25 gros instruments : pianos mécaniques à manivelle ou orchestrions fonctionnent grâce à un rouleau de papier perforé sur lequel est « notée » la partition. Un système pneumatique va alors actionner une tringlerie de câbles ou ficelles pour tirer les notes du piano. Mais au piano peuvent être adjoints d’autres instruments comme la mandoline et le xylophone (un Fratinola de 1905-1910).
Nous avons la joie d’entendre la 800e pièce du musée, un orchestrion de 1920 : cette grande armoire fabriquée à Nice et motorisée regroupe un orgue de 27 tuyaux, une batterie, un xylophone.
Mais le plus surprenant sans doute fut ce « Phonoliszt Violina » de 1920. Instrument allemand, il conjugue un piano mécanique avec une armoire où un archet circulaire muni de crins et un système de tringles métalliques figurant les doigts fait jouer 3 violons. Cet instrument n’est que rarement joué, car fragile… Mais nous avons pu l’entendre interpréter une célèbre barcarolle de Jacques Offenbach : « Belle nuit, ô nuit d’amour ».
L’atelier reconstitué des Frères Limonaire1 de Paris conduit ensuite à la Guinguette où l’automate accordéoniste nous accueille par une belle démonstration de son talent : sa musique est accompagnée de mouvements très réalistes de la tête, des yeux et même des sourcils et des lèvres !
Ici, les instruments se font colorés, imposants : ce sont des orgues de danse, fabriqués dans les années 1920-1925, destinés à remplacer tout un orchestre, d’où leur nom d’orchestrion.
L’un d’entre eux est particulièrement imposant : conçu pour une salle de bal de château, il occupe tout un mur de la pièce avec ses 315 tuyaux et ses percussions cachés derrière une façade peinte.
Dans l’espace bar reconstitué, avec son vrai « zinc », nous entendons avec joie l’ « Organ Jazz » des années 1950. Deux accordéons et saxophones sont animés en façade ; ici, les cartons sont attachés sur une grande roue, ce qui assure plusieurs heures de musique ! Bien sûr, nous ne pouvions pas tout écouter, puisque la visite se poursuivait à l’église pour y découvrir l’orgue Æolian.
D’après le document du Musée : l’orgue philharmonique à jeu automatique par rouleaux de papier perforé est un orgue à tuyaux construit en 1910 par la firme Æolian qui possédait une succursale en Angleterre. Il fut installé en 1914 dans l’hôtel particulier de Davison à Londres. L’orgue est transféré en 1923 dans sa résidence au Cap d’Antibes.
Lors d’une transformation de cette demeure dans les années 1960, l’orgue a failli disparaître.
Il a repris une nouvelle vie ici aux Gets grâce à l’engagement du Musée et l’appui des collectivités de l’état et locales.
La commune des Gets a réalisé la tribune (30 000€), les frais de restauration ont été partagés entre l’Etat (40%), la Région (20%), le département (30%) et l’association du musée (10%).
La façade est en noyer d’Ancône (Italie), ses dimensions sont de 6 mètres de large, 5 m de profondeur et 5,5 m de hauteur.
À commande électropneumatique, il possède 13 jeux d’orgue, 2 métallophones et un carillon.
Les deux claviers et le pédalier permettent de le jouer comme un instrument classique, ce qui a pu être testé avec trois petites pièces de l’époque (de Verdi, Brahms et Lefébure-Wély).
Mais, si on veut éviter les « fausses notes », on peut aussi profiter de la partithèque de près de mille rouleaux de papier pour le laisser jouer tout seul de la musique classique ou légère, tout en profitant des deux carillons et du métallophone intégrés à l’instrument… Il suffit de suivre les indications de registration notées sur le rouleau perforé au fur et à mesure qu’il se déroule (au-dessus des claviers)… mais on peut aussi choisir d’autres jeux que ceux proposés… C’est très impressionnant !
Des concerts sont régulièrement donnés sur cet orgue (voir le site du musée).
L’après-midi fut consacré à la découverte du bâtiment B en visite libre ; pour y accéde, il faut traverser la Galerie Impériale avec son espace Savoie, puis la « rue de Modène » où les orgues de Barbarie et des maquettes de fonctionnement d’un orgue nous font une haie d’honneur… ici, il est permis de toucher et de faire fonctionner !
La visite commence dans la salle des Automates et Jouets à musique : une collection de maquettes animées du parfumeur Roger & Gallet sur différents thèmes, dont des maisons décorées dans le style de différentes époques…, des jouets musicaux en métal ou en bois… Ici, il suffit d’actionner un interrupteur pour que la magie de l’animation opère.
En parallèle, la salle des machines parlantes dévoile une incroyable collection de phonographes et un film présentant l’invention du poète et inventeur français Charles Cros développée (usurpée ?) par Thomas Edison. Quelques juke-boxes également…
Un étage au-dessous et nous voilà au pays de la Fête Foraine avec ses orgues de foire. Là, notre guide magicienne nous a retrouvés pour nous faire entendre un puissant « limonaires » aux tuyaux d’orgues en bois ; conçu pour attirer le chaland près un manège de foire, il produit des sons d’orchestre très puissants.
Et enfin, nous eûmes droit à la « séquence nostalgie » : installés dans la salle de cinéma équipée d’un Scopitone2, nous avons pu visionner des clips vidéo des années soixante (le jeune Johnny Hallyday, Claude François, Françoise Hardy, Antoine). Souvenirs, souvenirs…
2 Wikipedia : Le Scopitone (du grec scopein – regarder – et tonos – tonalité) est un jukebox associant l’image au son. Il s’est répandu en France au début des années 1960…
Il nous restait à visiter la reconstitution d’un atelier ancien de restauration d’instruments et… le magasin qui propose parmi d’autres objets des livres, CDs et boîtes à musique.
Pour devenir adhérent de cette belle association, pour visiter le musée, pour profiter du festival de musique mécanique qui a lieu toutes les années paires, pour les prévenir su vous découvrez un instrument susceptible de les intéresser… rendez-vous sur leur site internet
http://www.musicmecalesgets.org/
Comme ce fut dur de quitter cet univers un peu magique : nous n’étions pas lassés de tant de splendeur !
Mais l’heure tournant, il nous fallut regagner le car qui nous déposa à l’autre bout du village, juste devant la fromagerie de la Fruitière des Perrières. Nous y étions attendus pour une dégustation de fromage d’Abondance, de Saveur des Gets… avant de repartir vers nos montagnes du Val d’Arly…
Il restera de cette belle visite quelques souvenirs émerveillés et… l’envie de revenir !
Sur le parvis de l’église des Gets, notre groupe
Un grand merci à notre guide Audrey et à tous les participants à cette belle journée sur les chemins de l’orgue.
photos D. Barberis