Quelques membres des Amis de l’Orgue de Saint-Pierre d’Albigny ont rejoint les habitués du Comité de Jumelage entre Saint-Pierre d’Albigny et Stetten en Allemagne pour un voyage de 4 jours (du 30 mai au 2 juin) au pays des orgues et des jardins… Vous vous doutez que pour moi, c’est plutôt les orgues qui m’ont attirée dans ce joli village à 15 minutes de Stuttagart, entourée de « Weinbergen » (des collines plantées de vignes bien alignées) et de champs de fraisiers.
Vous pouvez cliquer sur les photos pour les agrandir…
L’accueil fut magnifique, le programme de visites passionnant, le temps splendide et chaud, de belles rencontres ont eu lieu entre la vingtaine de Saint-Pierrains et les familles d’accueil allemandes (certains participent à l’échange depuis plus de 40 ans et se retrouvent toujours avec autant de plaisir !)
Et côté orgues, alors ? L’organisateur nous a concocté un programme de visites très bien construit : d’abord l’école de facteurs d’orgues et autres instruments, ensuite la facture d’orgues Lenter, puis l’orgue reconstruit par ce facteur (Fellbach) puis un autre très différent (Oppenweiler).
L’école de facteurs d’orgues à Ludwigsburg
Seule au monde à former des « maîtres » facteurs, elle initie aussi aux métiers de facteur de piano et assure les premières années de formation des facteurs d’orgue en apprentissage (comme à Eschau en Alsace). Le professeur de facture d’orgues nous a présenté pendant deux heures passionnantes l’exposition d’instruments à vents, les instruments à clavier(s) par ordre chronologique d’apparition :
une épinette,
un virginal,
un clavecin,
un piano,
deux harmoniums dont un historique très rare à doubles touches,
un célesta,
des orgues et
plusieurs maquettes et éclatés de piano et d’orgue…
Dans les ateliers, nous avons tout appris sur la fabrication des tuyaux en alliage plomb/étain, vu les machines à bois, les établis, une machine à commande numérique pour percer les sommiers…
Deux salles en particulier ont fasciné l’auditoire : caché derrière le tableau noir (vert en l’occurrence) se trouvé un clavier permettant, grâce à une commande mécanique de base (le professeur actionnant les soufflets au moyen d’une corde !) de faire parler des tuyaux aux formes parfois incroyables, installés tout autour de la pièce, de parler ! Certains sont des œuvres de maître… le plus impressionnant est sans doute le plus long tuyau en bois cylindrique du monde : 10 mètres !
l’armoire de droite recèle des trésors d’invention : des œuvres de maîtrise
La deuxième salle est étonnante aussi : une immense console (serions-nous dans un cockpit d’avion ?) pilote électroniquement des jeux dispersés là-aussi tout autour de la pièce. L’organiste n’a pas grands-chose à faire d’autre qu’à programmer la machine pour qu’elle joue toute seule ! Mais il peut aussi utiliser l’orgue normalement, avec ses doigs et ses pieds…
Et pour finir, c’est un des Amis de Saint-Pierre, passionné d’orgues de Barbarie, qui a actionné celui-ci, tout en transparence pour pouvoir en observer les composants et le fonctionnement. Superbe visite !
La facture d’Orgues Lenter à Sachsenheim
Autre décor dans ce grand hall qui accueille aussi bien des établis pour le travail du bois et le montage des petites pièces que d’énormes machines à bois, le stockage des plateaux de bois brut, un amoncellement (parfaitement rangé, que l’on se rassure !) de chapes, pièces de buffet et autres parties d’un grand orgue de 63 jeux en reconstruction à l’intérieur d’un buffet classé : celui de Kempten (à voir en images en suivant le lien)
https://www.orgelbau-lenter.de/aktuelles.php?id=138
A l’aide d’une maquette, le facteur nous a expliqué la différence de conception entre le français Cavaillé-Coll et l’allemand Walcker, les deux grands facteurs du XIXe siècle. Avec l’augmentation du nombre de jeux sur une même gravure et une soupape unique, les claviers pouvaient devenir très durs à jouer ; pour résoudre ce problème, Cavaillé-Coll a placer des machine Barker pour aider l’organiste à ouvrir les soupapes. Walcker, lui, a choisi de multiplier les soupapes en modifiant la structure des sommiers : pour chaque note, une soupape conique par jeu (sommier à pistons).
Le facteur nous a expliqué aussi la difficulté de faire de la restauration en orgues : comme pour un bâtiment historique, il a subi au cours du temps diverses modifications et ajouts, pas toujours avec bonheur. Certaines modifications sont intéressantes, d’autres non. Il faut alors choisir dans quel état on veut ramener l’orgue : l’état d’origine supposé ? un état intermédiaire permettant de jouer plus de répertoire ? ou, si le matériel sonore ne correspond plus du tout au buffet ancien, une reconstruction à neuf « dans l’esprit de » ? mais que choisir ? La question est vaste et difficile…
Un autre centre d’intérêt de ce facteur est la restauration d’harmoniums : voilà un instrument très imposant qui regroupe un orgue et un harmonium… Est-ce un harmoni’orgue ou un organ’ium ?
Orgue Lenter à Fellbach, 2016 – église luthérienne
Cet orgue est une reconstruction dans un buffet historique d’un orgue typé Allemagne Centrale (même projet que Saint-Pierre d’Albigny), comme nous l’a expliqué son facteur. Deux originalités : 2 « Zymbelsterne » en do et en sol (des étoiles qui tournent au sommet de la façade de l’orgue en tintant comme des clochettes) et un « physharmonica » en boîte expressive (un jeu à anches libres comme l’harmonium)… c’est assez étonnant d’entendre des sons d’accordéon à l’orgue…
Les trois organistes du voyage ont pu profiter des orgues de Fellbach en offrant au public une pièce chacun après le concert de l’organiste de l’église… Heureusement, le public fut indulgent : ce n’est pas simple de monter en tribune après la prestation d’un excellent organiste, de s’asseoir simplement à la console et de commencer son morceau, sans temps d’adaptation aux claviers et sans pouvoir choisir la registration…
Pour d’autres images :
https://www.orgelbau-lenter.de/projekt.php?id=127
Orgue Trefz à Oppenweiler, 2017 – église catholique
Autre orgue, autre conception : un peu plus loin à Oppenweiler… Ici, le comité paroissial et son organiste ont souhaité remplacer l’orgue Walcker de 1979 devenu inutilisable par un instrument très polyvalent, permettant de jouer des pièces de styles et d’époques très variées. Le nouvel orgue, installé en 2017, est une belle réussite : compact pour s’adapter aux contraintes de place, il offre tout de même 23 jeux grâce à quelques astuces et s’intègre parfaitement bien dans l’église de 1970.
Il est installé sur une estrade qui le surélève et l’isole : c’est une position intéressante pour l’organiste qui participe aux célébrations et peut être entouré de musiciens ou choristes.
La console en avant de l’orgue permet à l’organiste d’avoir une écoute plus homogène des sons produits que si elle était « en fenêtre » (comme on le fait habituellement pour rendre la mécanique plus directe). L’option de mettre le positif/récit dans une boîte expressive (en bas, au sol) avec des jeux romantiques mais aussi baroques est très intéressante pour un instrument de taille moyenne car elle augmente les possibilités en dynamique. La transmission est mécanique, le tirage de registres électrique.
L’organiste a joué quelques pièces « européennes » (France, Italie, Angleterre, Allemagne) puis nous y sommes allés… avec le public, puis juste pour notre (très grand) plaisir.
Ici, l’acoustique, avec la réverbération des murs en béton, sert parfaitement l’orgue. La console en avant de l’orgue permet à l’organiste d’avoir une écoute plus homogène des sons produits que si elle était « en fenêtre » (comme on le fait habituellement pour rendre la mécanique plus directe). F.Couperin (très beau jeu de tierce), G.Muffat sur les anches, J-S Bach sur les mixtures, J. Alain sur les jeux doux sonnent très bien… inutile de dire que les trois organistes du voyage s’y sont donnés à cœur joie… personne n’avait envie de partir, trop ravis de cette découverte.
Pour l’entendre et voir d’autres photos :
https://www.youtube.com/watch?v=bPUF8IouvJE
https://www.tilmantrefz.de/projekte/oppenweiler-katholische-kirche-st-stephanus/#c198
Et voilà encore un orgue pour terminer ce beau séjour : celui de l’église luthérienne de Stetten, que certains ont pu jouer et entendre…